La plateforme de droit bancaire et financier des étudiants en Master 2 - Droit européen et international économique et de Droit des Affaires Approfondi - de l'Université Paris XIII

23 mars 2017

LA TITRISATION DES CRÉANCES


LA TITRISATION DES CRÉANCES


Rayhane LABIDI

06/03/2017



Summary: Securitization of receivables is a financial technique used to transform illiquid assets into liquid and marketable securities. It includes an assignment of receivables ; These are securitized through a securitization entity which may take the form of either a common securitization fund or a securitization company. In France, these securitization entities are governed by the Monetary and Financial Code. While the securitization of receivables has been largely criticized for its complexity, it doesn’t affect the fact that it’s a technique which is strongly recommended for the functioning of the banking and financial sector. The important role played by securitization of receivables in banking intermediation has prompted European regulators to restart the STS project for the regulation of the securitization transaction, and to enhance investor protection.

Résumé : La titrisation des créances est une technique financière qui permet de transformer des actifs illiquides en titres négociables et liquides. Elle intègre une cession de créances. Ces dernières sont titrisées par le biais d’un organisme de titrisation, qui peut prendre la forme soit d’un fonds commun de titrisation soit d’une société de titrisation. En France, ces organismes sont encadrés par le code monétaire et financier.  Certes, la titrisation des créances a été fortement critiquée en raison de sa complexité, cela n’empêche pas le fait qu’elle soit fortement recommandée pour assurer le bon fonctionnement du secteur bancaire et financier. Le rôle important que joue la titrisation des créances dans l’intermédiation bancaire a incité les régulateurs européens à relancer le projet STS relatif à l’encadrement de l’opération de titrisation, et à renforcer la protection des investisseurs.

Apparue dans les années 70 aux USA, la titrisation « est une technique de financement par laquelle des actifs homogènes générateurs de revenus (souvent des créances) – qui, seuls, pourraient être difficiles à échanger – sont rassemblés et vendus à une entité tierce créée pour l'occasion, laquelle les utilise comme sûreté pour émettre des titres qu'elle vend sur les marchés financiers. »[1]  La titrisation peut être faite par une cession parfaite, comme elle peut être synthétique. La différence entre ces deux modalités de titrisation se trouve dans le fait que la première implique le transfert légal du titre, tandis que la deuxième implique uniquement la vente du risque de crédit lié aux actifs.[2][3]
Pour la réalisation de cette opération,  l’intervention d’un véhicule de  titrisation est nécessaire. Du point de vue du droit financier français, cet organisme peut être un fonds commun géré par des sociétés de gestion, ou tout autre organisme similaire dont l’activité principale consiste dans la réalisation des opérations de titrisation  en émettant des titres de créances ou d’autres instruments de dette. Ces organismes de titrisation transforment les créances cédées en titres financiers négociables. Sont considérées comme créances cédées « les créances acquises par les véhicules de titrisation auprès de l’initiateur.». Elles peuvent être les crédits bail, les  créances douteuses qui n’ont encore été ni remboursées ni amorties, les avoirs en titre non négociables, les crédits négociés, les créances subordonnées prenant la forme de dépôts ou de crédits.[4]
Par ailleurs, l'acquisition des créances par les organismes de titrisation s'effectue par le mécanisme de la cession de créance. Ce mécanisme peut être défini comme « un mécanisme juridique permettant la réalisation tant de simples transferts de créances d'une personne à une autre que d'opérations financières complexes servant à financer l'activité commerciale d'entreprises, telles que des contrats de garantie financière, l'affacturage et la titrisation. Elle consiste fondamentalement en un transfert, par un créancier (le «cédant»), de sa créance à l'égard d'un débiteur à une autre personne (le «cessionnaire»).»[5]
A cause de sa complexité, la titrisation a été largement critiquée et accusée d’être à l’origine de la crise des subprimes. Néanmoins, certains la considèrent comme un instrument favorable au financement de l'économie réelle à condition de mettre en place un encadrement plus rigoureux visant à assurer la stabilité des marchés financiers.  En quoi la technique de titrisation des créances est-elle utile pour assurer le bon fonctionnement et la stabilité du secteur bancaire et financier ?

La titrisation des créances inclut une cession de créances qui représente des avantages pour les différents acteurs financiers (I), mais aussi elle joue un rôle important pour assurer la stabilité bancaire et financière, ce qui justifie l’utilité de cette technique financière (II).

I-                   La titrisation des créances : une opération de cession de créance

La cession de créances fait intervenir un cédant et d’un cessionnaire (A). D’autres exigences relatives aux créances s’ajoutent pour qu’elles soient éligibles à la titrisation (B).

A)    Les acteurs intervenant dans la titrisation des créances

La titrisation implique le transfert d’une créance de la banque, la cédante, à une autre entité appelée cessionnaire. Dans le cadre de la titrisation des créances, ce transfert se fait à un véhicule de titrisation qui est une structure juridique distincte du cédant dont le rôle consiste à transférer aux investisseurs les titres financiers.[6] Un organisme de titrisation (OT) est un fonds d’investissement dont l’objet consiste en l’acquisition des créances et l’émission des obligations ou des parts ou  des actions représentant ces créances. Il peut être  soit un fonds commun de titrisation (FCT),[7] soit une société de titrisation (ST). Ces deux formes d’organismes de titrisation peuvent effectuer une cession de créances futures[8] et ce à travers les instruments financiers à terme, ou par la conclusion des contrats transférant des risques d’assurance.[9] Un OT dispose d’un programme d’activité spécifique, agréée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), chargée de la gestion de l’organisme.[10] L’activité des OT est encadrée par le code monétaire et financier (CMF).[11]
A noter que les agences de notation ont eu un rôle crucial dans le développement des produits titrisés à travers l’appréciation, qu’elles émettent, de la qualité et du risque des créances titrisées.[12]

B)    La nature des créances éligibles de titrisation

Les créances faisant objet de titrisation, qui sont à l’origine détenues par les banques, seront par la suite transférées aux investisseurs par le biais des organismes de titrisation (OT). L’article R214-218 du code monétaire et financier (CMF), précise que l’actif de l’OT peut  être composé de créances, de liquidités, d’actifs qui lui sont transférés pour la réalisation ou la constitution des sûretés, garanties et accessoires attachés aux créances cédées à l’organisme. Il peut être constitué aussi d'actifs qui lui sont transférés au titre des engagements qu'il prend au travers de contrats constituant des instruments financiers à terme ainsi que de créances.[13]Ces dernières, pour être à l’actif de l’OT, elles doivent répondre à certains critères imposés par l’article D214-219 du CMF. D’une part, ces créances peuvent résulter « soit d'un acte déjà intervenu, soit d'un acte à intervenir, que le montant et la date d'exigibilité de ces créances soient ou non encore déterminés et que les débiteurs de ces créances soient ou non identifiés, y compris des créances immobilisées, douteuses ou litigieuses ». Il en découle que les créances futures sont éligibles à la titrisation, à condition qu’elles résultent d’un acte à intervenir.
D’autre part, elles peuvent être « des titres de créance, représentant chacun un droit de créance sur l'entité qui les émet, transmissibles par inscription en compte ou tradition »[14].A titre d’exemple, des obligations, des  titres négociables ou des bons de caisse qui ont été cédés par la banque aux organismes de titrisation, ou qui ont été souscrits par l’organisme directement auprès de la banque.
La question relative au fait que certains OT soient dépourvus de la personnalité morale a été posée devant les tribunaux, notamment la Cour d’appel de Paris qui a considéré que le fonds commun de titrisation (FCT) était conforme à l’article L214-168 du CMF, et qu’il avait la qualité pour agir bien qu’il soit dépourvu de la personnalité morale.[15]

II)                La titrisation des créances : une technique financière utile dans le traitement des créances bancaires

Le projet de règlement STS[16] montre l’importance de la titrisation dans le fonctionnement du secteur bancaire et financier (A). Le renforcement de la protection des investisseurs figure parmi les objectifs de ce projet (B).

A)    L’importance de la titrisation comme moyen de financement de l’économie réelle

Après la crise financière des subprimes, la titrisation a été remise en cause en raison de sa complexité et de la mauvaise évaluation des risques liés aux créances hypothécaires titrisées.  Aujourd’hui, le mécanisme de titrisation est toujours utilisé.  Les régulateurs ont réalisé que la titrisation est utile pour le maintien de l’économie et du bon fonctionnement du secteur bancaire et financier. De ce fait, des nouvelles règles visant à améliorer la transparence de l'opération de titrisation ont été élaborées.[17]
La banque centrale européenne (BCE) dans un avis rendu le 25 janvier 2012 considère que  l’Autorité bancaire européenne (ABE) doit élaborer des projets de normes techniques d’exécution au lieu d’émettre de simples orientation concernant le transfert du risque de crédit, et ce dans le but de « garantir l'égalité des conditions de concurrence dans le domaine de la titrisation et renforcer la transparence et la clarté des règles applicables ». 
Elle précise que « le renforcement de la transparence et de la clarté des règles dans ce domaine contribuerait non seulement à garantir l'égalité des conditions de concurrence dans les différents pays et entre les différents participants au marché mais aussi à créer les conditions permettant de redynamiser les marchés de la titrisation.»[18]
En 2014, la Commission européenne s’est penchée sur la question relative à la mise en place d’un cadre juridique plus solide, afin de permettre l'émergence de titrisations simples et transparentes de haute qualité. Le but de cette initiative est d’améliorer le financement de l’économie par le renforcement des instruments financiers plus efficaces sur le marché, et de mettre en place un cadre pour les titrisations de haute qualité.[19]
   
B)    Le renforcement de la protection des investisseurs

La titrisation a pour effet de rendre négociables les créances ou les actifs illiquides de la banque qui cherche à s’en débarrasser par le biais de son véhicule de titrisation.[20]Quand une banque effectue une mobilisation des créances par laquelle elle fait disparaitre des créances de son bilan, elle n’est plus exposée au risque de crédit. En revanche, les OT se trouvent exposés à des risques d’assurance, des risques en raison de la conclusion des contrats constituant des instruments à terme, et enfin le risque lié à l’acquisition d’une créance grâce à la mobilisation[21].
Dans le cadre de renforcement de la protection des investisseurs, la Commission européenne garantit de mettre en place des règles permettant aux investisseurs « de comprendre, d'évaluer et de comparer les opérations de titrisation sans dépendre exclusivement de tiers, tels que les agences de notation ». Le projet de règlement STS crée un cadre général pour la titrisation. Il s'applique aux investisseurs institutionnels exposés à des titrisations, aux initiateurs, prêteurs initiaux et aux entités de titrisation.[22]
Dans le but de promouvoir une titrisation « simple, transparente et normalisée ». L'ABE a établi une distinction entre une bonne et une mauvaise titrisation. Cette distinction repose sur plusieurs principes, parmi lesquels se trouve la conservation par l'initiateur d'un intérêt dans le portefeuille titrisé, le critère de la cession parfaite par l'initiateur sur le plan juridique des actifs titrisés et l'élimination des risques de liquidité.[23]
La titrisation est avantageuse pour les banques. Toutefois, elle augmente le risque,  puisque la banque cède le crédit à une autre entité, ce n’est plus elle qui supporte le risque mais ce sont les autres entités qui ne sont pas forcément concernées par la réglementation relatives aux banques. Autrement dit, un risque supporté par une banque n’est pas le même risque auquel se trouve exposé une autre entité ou l’investisseur.  La Cour de Cassation a rendu un arrêt dans lequel elle considère que la mobilisation des créances par la technique de titrisation « a pour effet de générer de la trésorerie, cependant que seul le risque final de non recouvrement des créances cédées est inscrit hors bilan ».[24]












[1] Rapport de la commission au parlement européen au conseil et au comité économique européen sur la question de l'opposabilité d'une cession ou subrogation aux tiers, ainsi que du rang de la créance faisant l'objet de la cession ou subrogation par rapport aux droits détenus par d'autres personnes du 29 septembre 2016.
[2]La titrisation synthétique : n’implique pas le transfert légal de titre, en revanche elle implique la vente du risque de crédit lié aux actifs à travers les contrats d'échange sur risque de crédit, les actifs sous-jacents demeurent inscrits au bilan de la banque.
La titrisation avec cession parfaite: implique  le transfert légal effectif des actifs à l’organisme de titrisation, lui  permettant d’avoir le droit de percevoir les liquidités générées par les actifs .Les actifs sous-jacents sont effacés du bilan de la banque. (AngelosDelivorias, « ANALYSE APPROFONDIE EPRS : Comprendre la titrisation ». Service de recherche du Parlement européen, Service de recherche pour les députés Octobre 2015.)
[3] Jean-Philippe Dom, « Le renouveau de la titrisation », Bulletin Joly Bourse - 01/07/2005 - n° 04 - page 387
[4] Règlement (UE) nº 1075/2013 de la Banque centrale européenne du 18 octobre 2013 relatif aux statistiques sur les actifs et les passifs des véhicules de titrisation (refonte).
[5] Rapport de la commission au parlement européen au conseil et au comité économique européen sur la question de l'opposabilité d'une cession ou subrogation aux tiers, ainsi que du rang de la créance faisant l'objet de ladite cession ou subrogation par rapport aux droits détenus par d'autres personnes du 29 septembre 2016.
[6]Créés par l’ordonnance n° 2008-556 du 13 juin 2008. Il s’agit de véhicules de titrisation dont le fonctionnement est soumis au régime de l’offre au public.
[7] Article L214-49-4 (abrogé au 28 juillet 2013), Créé par l’ordonnance n°2008-556 du 13 juin 2008 - art. 16 :
« Le fonds commun de titrisation est un organisme de titrisation constitué sous la forme de copropriété.
Le fonds n'a pas la personnalité morale. Etc. »
[8] La titrisation des créances échues ou non déchues de leur termes, est permise dans les seuls cas prévus par l’article R214-107 du CMF Abrogé par Décret n°2005-1007 du 2 août 2005 - art. 5 (V) JORF 25 août 2005
[9] Article L214-168  Code monétaire et financier (CMF) Modifié par la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 - art. 27 (V).
[10] Instruction AMF Organismes de titrisation – DOC-2011-01, Texte de référence : article 425-1-1 du règlement général de l’AMF.
[11] Sous section 5 « Organismes de titrisation », Paragraphe 1 : « Dispositions communes aux organismes de titrisation ».
[12] François  Veverka  consultant et administrateur indépendant ancien Directeur Général Exécutif pour l'Europe de Standard & Poor's Credit Market Services, « Faut-il une réglementation stricte des agences de rating ? », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 23, 4 Juin 2009, 1578.
[13] Article R214-218 code monétaire et financier, (CMF) Modifié par Décret n°2013-687 du 25 juillet 2013 - art. 8
[14] Article D214-219 code monétaire et financier,(CMF), Créé par Décret n°2013-687 du 25 juillet 2013 - art. 8
[15] Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 6, 15 Octobre 2015 – n° 14/12725
[16] Projet de réglement relatif à la titrisation « simple, transparente et standardisée »
[17] Pierre  Minor, De Pardieu Brocas Maffei, «La titrisation : mécanisme décrié mais toujours utilisé », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 23, 4 Juin 2009, 1572.
[18] Avis de la Banque centrale européenne du 25 janvier 2012 sur une proposition de directive concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement et sur une proposition de règlement concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement (CON/2012/5), Journal Officiel du 11 avril 2012 - Numéro C 105 - Page 1,
[19] Fabrice FAURE-DAUPHIN et Caroline MARION , « Titrisation - La régulation de la titrisation toujours en question », Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2015.
[20] Thierry BONNEAU, Synthèse - Marchés financiers, Date de fraîcheur, 3 Juillet 2016
[21] Henri Hovasse, Nathalie Martial-Braz, « LA TITRISATION », JurisClasseur Banque - Crédit – Bourse Fasc. 2260, 25 Juillet 2008, Date de la dernière mise à jour : 3 Avril 2013 - CDA-PR
[22] Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL établissant des règles communes en matière de titrisation ainsi qu'un cadre européen pour les opérations de titrisation simples, transparentes et standardisées, et modifiant les directives 2009/65/CE, 2009/138/CE et 2011/61/UE et les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 648/2012
[23] Fabrice FAURE-DAUPHIN et Caroline MARION , « Titrisation - La régulation de la titrisation toujours en question », Revue de Droit bancaire et financier n° 1, Janvier 2015.
[24] Cour de cassation, Chambre commerciale, 7 Juillet 2009 - n° 08-17.541

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