La plateforme de droit bancaire et financier des étudiants en Master 2 - Droit européen et international économique et de Droit des Affaires Approfondi - de l'Université Paris XIII

7 avril 2017

TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIERES


LA TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES


par Kizi Nicolas BIYOUDI


(mars 2017)

RÉSUMÉ
La taxe sur les transactions financières (TTF) vise à taxer à un taux réduit une large partie des transactions financières afin de limiter la spéculation. La crise de 2008 a conduit les gouvernants à prendre des mesures de nature à éviter qu’une telle crise ne se reproduise. C’est dans cet esprit que l’opportunité de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTF) a été discutée tant au plan international (G20), régional que national. Sur le plan régional elle a été vue comme un moyen de faire supporter au secteur financier les coûts de la crise dont il est pour une large partie responsable. En attendant la mise en place de la mesure à l’échelle européenne, la France a mis en place une taxe sur les transactions financières dont l’efficacité est critiquée. Au niveau européen, une coopération renforcée a été mise en place dans le domaine de la TTF entre 11 Etats.  Celle-ci plus ambitieuse peine cependant à voir le jour en raison des différents blocages dont elle fait l’objet notamment de la part des lobbies financiers. Les retombées économiques de la TTF sont discutées. Ses détracteurs invoquent principalement des conséquences néfastes pour la croissance avec des risques de délocalisation et de répercussion des coûts sur le consommateur final.  Ses défenseurs quand à eux, font notamment valoir des recettes importantes (35 milliards d’euros) qui pourront être allouées à des objectifs de développement durable.

SUMMARY
The financial transaction tax (FTT) aims at taxing a broad base of financial transactions and charge them at a low rate. Its goal is to avoid speculation. The idea of such a tax is attributed to James Tobin a Nobel prize in economics. The 2008 crisis led the governments to try and find out new rules to avoid such a crisis to rise again. Thus, the idea of introducing such a tax has been discussed during the G20 in 2009 and 2011. In 2013, the Council of the European Union allowed 11 countries to create a co-operation on that area. In France, Nicolas Sarkozy has been keen on adopting a FTT. However, the French FTT does not have a broad base. Therefore, it is pretty much more a stamp duty than a genuine FTT. The European FTT is more ambitious but it has known several obstructions. Indeed, initially supposed to be implemented in 2014, it has been delayed to 2016. In February, 2017 the European FTT has not been applied yet, due to a large extent to the impact of the financial lobby contestation. The later claims the FTT to be a disaster for the economy of the countries that will apply it mainly because it will lead to delocalisation. Its advocates insist on the profits (35 billion of euros) that could be employed into sustainable development policies and that it will avoid speculation.


Introduction

L’idée selon laquelle « quand la finance va mal, c’est le contribuable qui paye » s’est imposée aujourd’hui comme un adage populaire. Ce constat résulte des suites de la crise financière de 2008. Alors que le secteur financier a été reconnu comme le principal responsable de la crise, force est de constater qu’il n’en a que peu assumé les responsabilités[1] [2]. Très tôt, des économistes tels que KEYNES [3] et plus tard James TOBIN [4] se sont penchés sur la mise en place d’une taxe en vue de limiter la spéculation sur les marchés. Après la crise de 2008, les pouvoirs publics entendent d’une part lutter efficacement contre la spéculation. D’autre part, manifestent une forte volonté de faire supporter au secteur financier le coût de la crise, jusque-là supporté par le contribuable. Dans cette volonté des pouvoirs publics de réguler le secteur financier, différents axes sont envisagés. Outre les nouvelles garanties qui vont être exigées aux banques [5], l’idée d’une taxe sur les transactions financières [6] (ci-après TTF) va peu à peu se répandre au sein des instances gouvernantes.
Ainsi, au plan international, la question est abordée aux G20 de 2009 et de 2011. Au niveau régional, José Manuel BARROSO président de la commission européenne (2009-2014), insiste sur la nécessité de responsabiliser le secteur financier et le faire contribuer à l’effort post crise[7]. Le Conseil de l’Union européenne va autoriser la mise en place d’une coopération renforcée en matière de TTF. Aux plans nationaux le couple franco-allemand, Nicolas SARKOZY- Angela MERKEL, œuvre pour la mise en place de la mesure. Le premier déclarera, vers la fin de son quinquennat, que la TTF est « techniquement possible, financièrement indispensable, moralement incontournable »[8].
Ce large consensus autour de la mise en place d’une TTF conduit à s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure dans la régulation du système financier.
De sorte que si l’on peut douter au niveau national de l’efficacité de la taxe (I) l’espoir est toutefois permis à l’échelle européenne (II).

I. L’efficacité douteuse d’une TTF au niveau national

La mise en place controversée de la TTF en France (A) s’est révélée superficielle (B).

A.  Une mise en place controversée

Dans le courant des années 2010, le pouvoir exécutif va œuvrer pour la mise en place en droit français de la taxe sur les transactions financières. La mise en place de la législation fût saluée par les uns[9] mais a suscité de vives inquiétudes chez les autres. En effet, l’impact néfaste d’une telle taxe unilatérale sur l’économie française a été allégué. Marcus BEYER, notamment, directeur de Business Europe, alerte contre les dangers de la mise en place unilatérale d’une telle mesure : fuite des capitaux, délocalisations, baisse de la croissance et de l’emploi, etc.[10] [11]
Ces critiques contre la pertinence d’une mise en place à l’échelle nationale de la TTF ne paraissent pas illégitimes. En effet, vient au soutien de ces critiques, l’exemple de la Suède. Cette dernière avait vers la fin des années 1990 mis en place une TTF de manière unilatérale. Les conséquences pour son économie ont été telles qu’elle a dû revenir promptement sur la mesure[12] [13]. Eu égard à cet exemple désastreux, l’efficacité de l’introduction de la mesure en droit français est vivement remise en doute.
Ces difficultés, liées à une mise en place unilatérale de la TTF, ont sans doute motivé le législateur français à lui donner une faible portée.

B.   Une mise en place superficielle

Introduite à la faveur de la loi de finance rectificative pour l’année 2012 (CGI, art. 235 ter ZD), la TTF française allie à un taux faible une assiette réduite [14]. Cette combinaison a conduit ses détracteurs à lui dénier le caractère de taxe sur les transactions financières. En effet, dans l’idée de James TOBIN, il s’agit de taxer le maximum d’opérations à un taux réduit. C’est, partant, une assiette large pour un taux faible qu’il préconise pour réduire la spéculation.
Il résulte de son assiette réduite que la TTF française n’est en définitive qu’une taxe sur les achats d’actions et non sur les transactions financières. Elle s’assimile ainsi à l’impôt de bourse qui existe dans différents pays (Royaume-Uni, Japon, Brésil, etc.). On peut, dès lors, en tirer deux conséquences. La première, c’est que la TTF française ainsi conçu échappe aux critiques articulés contre la TTF classique [15] , dans la mesure où elle ne se distingue pas de l’impôt de bourse qui se pratique dans les différents pays évoqués. La seconde est que n’étant pas une TTF classique on peut craindre qu’elle ne permette pas d’atteindre efficacement l’objectif affiché du législateur qui est de lutter contre la spéculation.  
La recherche d’efficacité se fera donc par le biais de la mise en place d’une TTF à l’échelle européenne.

II. L’efficacité attendue d’une TTF européenne ambitieuse

C’est dans le cadre d’une coopération renforcée (A) que le droit européen entend mettre en œuvre son projet ambitieux de TTF (B).

A.  La recherche d’efficacité par une coopération renforcée

L’Union n’ayant pas la compétence fiscale, la mise en place d’une coopération renforcée s’est imposée. Par une décision du 22 janvier 2013 [16], le Conseil de l’Union européenne a donc autorisé cette coopération renforcée entre onze Etats[17] (aujourd’hui dix) dans le domaine de la TTF [18]. Cette décision fit l’objet d’un recours du Royaume-Uni devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 30 avr. 2014, RU/Conseil). [19] Il arguait que d’une part, la TTF produirait des effets extraterritoriaux contraires au droit international (principe de la territorialité de l’impôt) [20]. D’autre part que la taxe serait contraire au droit de l’Union Européenne (UE)[21] en ce qu’elle imposerait des coûts aux Etats non participants. Sans répondre à ces arguments, la Cour rejette le recours en considérant qu’il ne porte pas sur la décision elle-même mais sur les éléments de la future taxe. La Cour ne tranche donc pas la question qui reste entière.
Les Etats vont à travers la coopération renforcée tenter d’atténuer les risques d’évasion fiscale inhérents à une mise en place unilatérale de la mesure. Cependant, le multilatéralisme ne facilite pas la prise de décision. La TTF européenne a ainsi subi les blocages répétés de plusieurs Etats (notamment la France), relativement au contenu de la mesure. Ceux-ci ont en effet essayé de vider le texte de sa substance[22]. La France, relayée par la Belgique, a tenté d’exclure de la taxation les produits dérivés, du moins certains d’entre eux. Or, ceux-ci sont largement en clin à la spéculation. A ce titre, ils représentent l’un des enjeux majeurs de la législation qui vise à réduire la spéculation. Ces blocages ont en réalité laissé transparaître l’influence du lobby financier [23] dans le processus décisionnel.Initialement prévue pour entrer en vigueur au 1er janvier 2014 [24], elle a été repoussée à fin 2016 [25], pour être à nouveau reportée [26].

B.   La recherche d’efficacité par un contenu « ambitieux »

La TTF européenne prévoit un double principe de collecte pour limiter l’évasion fiscale[27] : Principe de résidence (l’imposition se fait dans l’Etat du siège de l’établissement). Principe d’émission (l’imposition porte sur toutes les transactions effectuées sur les titres émis dans les Etats parties). Il est prévu à la TTF une assiette large pour un taux réduit[28] .Ce taux réduit suffirait à freiner la spéculation particulièrement dans le cadre du trading à haute fréquence. Par son contenu, le projet Européen s’analyse comme une véritable taxe sur les transactions financières. Son opportunité pour la régulation efficace du secteur financier est cependant critiquée.
Le secteur financier avance que la TTF serait déplorable pour l’économie tandis que ses recettes seraient limitées. Il alerte sur les risques de délocalisation (en raison du nombre limité d’Etats participants). En somme, il redoute des conséquences « tragiques » pour la place boursière des Etats participants, pour la croissance et l’emploi et un coût qui serait en définitive répercuté sur le consommateur [29] [30].Certains considèrent cependant que ces craintes sont exagérées [31]. Selon les estimations de la Commission[32], la TTF ainsi conçue devrait rapporter près de 35 milliards d’euros par an. Elle devrait par ailleurs réduire la spéculation sur les marchés financiers. Les recettes permettraient d’alimenter le budget de l’UE et des Etats parties ou encore de financer des objectifs de développement durable et de protection de l’environnement. L’idée a également été émise d’en faire une ressource propre de l’UE.








[1] Rapport d'information de Mme Fabienne KELLER, « La taxe sur les transactions financières : facile à concevoir, difficile à mettre en œuvre », fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, 2012.
[2] OCDE, « La crise financière de 2008, une crise de la mondialisation ? », dans La mondialisation économique : Origines et conséquences, Éditions OCDE, Paris, 2012.
[3] J.M. KEYNES, « Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie », 1936 : conscient des risques liés à une spéculation trop importante, l’économiste avait imaginé la mise en place d’une taxe visant à éviter la création d’une bulle spéculative.
[4] J. TOBIN, « A proposal for International Monetary Reform », Eastern Economic Journal, n° 4, July/October, 1978, pp. 153-159 : le prix Nobel d’économie va proposer la taxation des transactions monétaires. Le but étant par cette taxe de réduire la spéculation en la rendant plus couteuse.
[5] Notamment les accords de Bâle III du 16 décembre 2010 qui renforcent le cadre de la réglementation bancaire.
[6] La Commission européenne définit la transaction financière comme « l'échange d'instruments financiers (titres, obligations, actions et produits dérivés) entre banques et autres établissements financiers ».
[7] Discours sur l’état de l’Union
[8] È. CHARRIN, « Champion, le lobby bancaire, pour torpiller la taxe sur les transactions financières », ATTAC.org, 2016
[9] Il convient néanmoins de préciser que les courants altermondialistes, partisans de la taxe, s’ils salueront l’annonce seront cependant désappointés par le contenu de la législation française. Sur la question : « Taxe Tobin à la française : un bluff indécent » par Attac France, ATTAC.org, 2012
[10] Lettre ouverte à François Hollande, Gérard MESTRALLET (Président du conseil d'orientation de Paris Europlace), 2012
[11] È. CHARRIN, « Champion, le lobby bancaire, pour torpiller la taxe sur les transactions financières », ATTAC.org, 2016.
[12] “European financial tax not a good idea, says Sweden”, BBC, 2011.
[13] T. COUTROT « La taxe Tobin n’est véritablement concevable qu’au plan européen », le Monde, 2012
[14]  Article 5 de la loi de finances rectificative pour 2012 (n° 2012-354), du 14 mars 2012 prévoit un taux de 0,2% sur les achats d’actions émises par les SA cotés dont le capital est supérieur à 1 milliard d’euros, 0,1% sur les opérations à « haute fréquence » sur les actions de SA cotés réalisées par des entreprises exploitées en France, 0,01% sur les contrats d’échange sur défaut d’un Etat de l’UE.
[15] La TTF classique doit ici s’entendre de celle qui correspond à la vision de l’économiste J. TOBIN dite « taxe Tobin »
[16] Déc. Cons. UE no 2013/52, 22 janv. 2013, JOUE 25 janv. 2013, no L 22
[17] Il s’agit de : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, le Portugal, la Slovaquie et la Slovénie. Initialement prévue à la coopération, l’Estonie s’est retirée.
[18] Cette décision fait suite à l’échec en 2011 de la proposition de directive établissant un système commun de taxe sur les transactions financières et modifiant la directive 2008/7/CE. A lire sur le sujet : « La Commission veut taxer le secteur financier au niveau de l'Union européenne » C. Fleuriot in Dalloz actualité, 2011
[19] CJUE, 30 avr. 2014, Royaume-Uni / Conseil, aff. C-209/13
[20] T. AFANTROUSS, « Taxe sur les transactions financières : la fiscalité à l’épreuve de la territorialité du droit », colloque du 16 juin 2016 Fiscalité financière : les nouveaux enjeux, in Revue de Droit Fiscal n° 30-35, p 446
[21] Articles 327 TFUE et 332 TFUE
[22] V. De FILIPPIS, « Une taxe européenne sur les transactions financières de plus en plus ‘’zombie’’ », Libération, 2016
[23] Sur l’influence des groupes d’intérêts : C. WOLL, « Lobbies et groupes d’intérêt », dossier : Ils dirigent le monde, in Questions Internationales n°63, 2013
[24] « La Commission veut taxer le secteur financier au niveau de l'Union européenne » C. Fleuriot in Dalloz actualité, 2011
[25] Council of the European union: Economic and Financial affairs, press release of the 3310th meeting, p 9, 2014
[26] A ce jour il n’existe aucune certitude quant à la date d’entrée en vigueur de la mesure, les récentes discussions au Conseil, laissent cependant émerger un consensus (Cession du conseil ECOFIN 15205/16 du 6 décembre 2016).
[27] Cession du Conseil ECOFIN 9602/16 FISC 90 ECOFIN 522, points 6 à 8 Cession du Conseil ECOFIN 13608/16 du 28 octobre 2016
[28] Cession du Conseil ECOFIN 13608/16 du 28 octobre 2016 : Actions et obligations à 0,1%, produits dérivés à 0,01%
[29] Lettre ouverte à François Hollande, Gérard MESTRALLET (Président du conseil d'orientation de Paris Europlace)
[30] È. CHARRIN, « Champion, le lobby bancaire, pour torpiller la taxe sur les transactions financières », ATTAC.org, 2016.
[31] Gunther CAPELLE-BLANCARD, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne et chercheur au Labex Réfi (Régulation financière)
[32] www.ec.europa.ue




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